Beaucoup imaginent Paris (et, par association, la France elle-même) comme un parangon de somptuosité bourgeoise, avec sa belle architecture, ses restaurants haut de gamme et ses mondains chics. Mais marginalisé sous de tels stéréotypes se trouve « L’Autre France » – les projets de logements sociaux à la périphérie de Paris. Ces banlieues, ou « banlieues », abritent la population la plus défavorisée de France, qui est majoritairement noire, arabe et ouvrière.
Prenez la plus pauvre des banlieues françaises, Grigny. Il se trouve à seulement 21,8 km (13,5 miles) au sud du centre de Paris. En novembre 2020, le taux de pauvreté de Grigny était de 45%, contre une moyenne nationale de 14,6%. Près de 10 % de la population de Grigny vivait en dessous du seuil de revenu déclenchant l’aide de l’État.
Contexte historique des banlieues françaises
La stagnation économique dans les banlieues françaises reflète le double héritage historique de la gentrification de la classe ouvrière et des entreprises coloniales. Au XIXe siècle, Napoléon III charge Georges-Eugène Haussmann d’initier une série de projets de travaux publics. L’objectif était de moderniser Paris – alors repaire d’immeubles inesthétiques, de surpopulation et de maladies – en élargissant les avenues, en construisant des parcs, en remplaçant les égouts, etc.
Les rénovations haussmanniennes embourgeoisent le centre-ville et déplacent le prolétariat urbain pauvre vers la périphérie de la ville, qui devient naturellement un foyer d’agitation politique communiste, socialiste et anarchiste. Ces mouvements radicaux ont influencé la Commune de Paris de 1871, ont fait des banlieues à ceinture rouge («ceinture rouge») pour le Parti communiste français dans les années 1920 et affectent la politique des banlieues à ce jour.
Une autre influence historique sur les banlieues a été la domination coloniale de la France sur l’Algérie de 1830 à 1962. La tourmente de la guerre franco-algérienne (1954-1962) pour l’indépendance de l’Algérie a forcé de nombreux Arabes algériens à fuir vers la France. Sans grand capital financier ou social, ils ont été relégués dans les quartiers pauvres déjà existants de la périphérie parisienne. Dans les années 1980, environ 25% de la population parisienne était algérienne. Ce chiffre correspond à peu près à ce qu’il est aujourd’hui.
Après la décolonisation dans les années 1950, un grand nombre d’immigrants noirs de la classe ouvrière des anciennes colonies françaises d’Afrique de l’Ouest et du Nord (principalement le Mali, le Sénégal et la Mauritanie) sont arrivés pour répondre au besoin de main-d’œuvre bon marché de la France.
Ainsi, les histoires de conflits de classe, de colonisation et de migration ethnique ont toutes façonné la démographie moderne et la culture politique des banlieues françaises.
Comment le maire Philippe Rio et d’autres dirigeants locaux s’attaquent à la pauvreté en banlieue
En 2021, le groupe de réflexion londonien The City Mayors Foundation a déclaré Philippe Rio, maire du Parti communiste français de Grigny depuis 2014, comme « le meilleur maire du monde » pour ses politiques sociales progressistes, en particulier pendant la crise du COVID. Parmi eux, l’émission de 38 000 bons alimentaires d’urgence et des appels de contrôle quotidiens aux 2 000 personnes âgées retraitées de la ville. Rio a toujours été catégorique pour s’attaquer aux causes structurelles de la pauvreté des banlieues parisiennes : manque de ressources éducatives, manque de logements abordables et discrimination au travail.
« Au ‘pays des droits de l’homme’, cinquième économie mondiale, nous devons dénoncer, comprendre et remettre en cause ces phénomènes de ségrégation spatiale et sociale qui minent le droit à la ville », a déclaré le maire communiste dans une déclaration au Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme.
En 2021, de nombreux dirigeants locaux, en particulier dans les quartiers populaires, estimaient que le gouvernement du président Macron n’en faisait pas assez pour les banlieues françaises. Alors Rio, avec 180 autres maires, a signé une pétition appelée Appel de Grigny (« Appel de Grigny ») pour exhorter le gouvernement Macron à investir davantage dans les banlieues et à les inclure plus en profondeur dans le plan de relance COVID, car il n’avait détourné que 1% de son budget de 1 milliard d’euros vers les banlieues pauvres. Anne Hidalgo, maire PS de Paris depuis 2014, a soutenu la pétition. Au final, ils ont réussi à convaincre le gouvernement de détourner 2 milliards d’euros supplémentaires vers la «rénovation urbaine».
Au sein de la communauté, l’administration de Rio travaille à rendre les logements de Grigny plus abordables. 17 000 des 38 000 habitants de Grigny vivent dans une coopérative d’habitation appelée Grigny 2. En raison de la sévérité de leur pauvreté, beaucoup n’ont pas les moyens de payer leurs factures. Cela a conduit à une crise de « surendettement » qui a forcé les propriétaires à couper le chauffage, l’eau chaude et le gaz naturel des résidents. En réponse à cela, Rio a lancé une initiative pour un complexe de logements « 100% public » alimenté par l’énergie géothermique. Dans son entretien avec Jacobin, il a affirmé que le projet réduisait les factures de 25 % et économisait 15 000 tonnes d’émissions de CO2 en une seule année.
Grigny s’est associé à neuf organismes publics – dont l’agence régionale de santé et le ministère de l’Éducation – dans une « task force conjointe contre la pauvreté ». Leurs politiques comprennent la distribution gratuite de petits déjeuners nutritifs aux enfants dans les écoles ainsi qu’un centre de formation professionnelle qui enseigne aux adultes le français et les compétences professionnelles. Pour solidifier le droit de tous les résidents à avoir un logement abordable, Grigny a créé une unité pour inspecter les appartements et prendre des mesures contre les propriétaires prédateurs qui fournissent des « logements insalubres ».
Et après
Philippe Rio est un dirigeant local talentueux qui perpétue la longue tradition française de «communisme municipal» dans les villes ouvrières et donne un exemple positif aux autres maires de banlieue. Cette génération d’élus municipaux sert de contre-pouvoir à l’État français, en s’assurant qu’il accorde l’attention nécessaire aux banlieues françaises. Ils reconnaissent que la réalisation de la « liberté, égalité et fraternité » nécessite de s’attaquer à l’héritage historique d’une époque où, de toute évidence, celles-ci n’existaient pas pour tous.
– Eric Huang
Photo : Unsplash
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